• Est-ce une bonne idée de faire son boulot ???

    Mon boulot, il est chouette.

    Pas toujours facile, pas toujours drôle, mais chouette.

    Mon activité principale, c'est de raconter des histoires, de faire des spectacles. Pour des familles.

    C'est chouette.

    Je ne vais pas idéaliser le truc, parce que, comme tous les boulots, y'a les trucs relous : changer sans cesse d'endroits, sans savoir toujours où tu vas atterrir, n'avoir pas toujours des conditions idéales, rouler beaucoup... Et puis, y'a tout l'administratif. Mais c'est un chouette boulot.

    Je l'ai déjà dit, je ne fais pas de grands spectacles, je fais du spectacle de proximité.

    Ça n'est pas de la grande culture, c'est un partage.

     

    Aujourd'hui, je devais raconter dans le cadre d'un atelier sur la parentalité, dans un quartier animé et pas facile de Lille.

    Dans une maison médicale. Dans la salle d'attente. Oui... Je fais des spectacles n'importe où !

    Hop, hop, hop, j'installe mon petit barda et en quelques minutes, avec 2 spots et un rideau noir, on transforme l'attente en spectacle.

    15h, heure théorique du spectacle.

    Personne.

    15H05, une dame va voir au centre d'accueil pour demandeurs d'asile si les familles arrivent.

    15h15,  non, ils ne viennent pas.

     

    Ça n'est pourtant pas loin, 100m. Mais c'est déjà trop.

    On pourrait annuler. Dire que c'est tant pis pour eux. Dire que au moins, ils pourraient se bouger. 100m, quoi !

     

    Et puis, on se dit que s'ils ne viennent pas au spectacle, c'est nous qui irons. Et on y va. On laisse les lumières, on laisse le drap noir qui fait spectacle.

    On prend l'essentiel, le mini décor qui tient dans une valise, l'accordéon et moi.

     

    Cinq étages à monter.

    Un couloir. Sordide. Des affiches : "attention, il y a à nouveau des punaises de lit".

    Des petits jumeaux de 4 ans qui courent en riant dans le couloir.

    Sordide, le couloir. Marrants, les gamins.

    Des portes, des portes, des portes.

    Derrière ? Des familles, des mamans, des bébés, des enfants, des petits, des grands.

    Une chambre par famille. Minuscules, les chambres.

     

    Finalement, on trouve une petite cuisine, vieux carrelage, oignons dans des cartons, armoires un peu déglinguées.

    On fera le spectacle dans la cuisine moche et pas de quoi la transformer en salle de spectacle.

    Frapper aux portes, aller chercher les gamins, les parents.

     

    Et finalement, ça démarre, pas à l'heure, pas dans le calme.

    Une dizaine de gamins, venus souvent de loin.

    Des parents aussi, qui n'osent pas trop.

     

    La chanson du début, une berceuse bretonne qui parle d'un papa au loin : 

    "toutouic, lonla, ma belle, toutouic, lonla

    Le père est au loin et la mère est ici,

    qui va berçant l'enfant chéri"

     

    Et spectacle avance. Et les enfants se rapprochent.

    Et la berceuse revient.

    Et les gamins se lèvent et dansent la valse.

     

    Ils ne savent pas qu'un spectacle, ça s'écoute, ça se regarde, assis.

    Non ! Un spectacle, ça se vit. Et ils le veulent.

     

    Et la berceuse bretonne parle très fort au gamin albanais, à l'angolais, au rwandais...

    La berceuse parle simplement.

     

    Qu'ont-ils traversé ces mômes ? Des océans, des déserts. Combien de frontières ? Et puis bien pire que de la géographie aussi.

    Ils restent ici, dans les minuscules chambres.

    Et force est de constater que c'est mieux que rien. Et mieux que rien, c'est déjà ça.

    Que 3 gamins et 2 parents dans 9m2, c'est invivable.

    Derrière chaque porte, il y a une famille.

    Il est long ce couloir. Il est sombre. Il est humide. Il est triste.

    Ils restent jusqu'à ce que les demandes d'asiles soient refusées (peu sont acceptées) et ils repartent, ils retraversent les océans, les frontières...

     

    Il est chouette mon boulot. Il est doux. Je ne suis pas travailleuse sociale. Je ne suis pas quelqu'un qui va changer leur vie.

    Mais, je dis juste, que peut-être, ils garderont avec eux, l'air de cette berceuse bretonne, qui finalement parle d'eux. Cette berceuse bretonne qui leur appartient aussi, à eux, nés loin d'ici.

    Que peut-être, un jour moins dur que les autres, ils repenseront qu'ils ont dansé la valse dans une cuisine et que ça les fera rire autant qu'ils ont ri aujourd'hui.

     

    Hé ! Je ne suis pas mère Térésa, hein ! Je fais juste mon boulot, mais je crois que, aujourd'hui, je l'ai fait d'une manière juste.

     

    Love sur vous. Tout plein !

    Je suis FB !! c'est dingue.

    J'ai aussi mon autre blog où je mets juste des moments doux, en photos. Par exemple là ou (mais, là, je parle de mes ateliers en taule.. aujourd'hui, j'y ai pensé, y'avait des trucs qui ressemblaient)

     

    La photo, c'est la petite benjamine, avec un chouette livre qui fait regarder le monde. C'est le petit curieux d'Edouard Manceau. Très bien !

     

    Est-ce une bonne idée de faire son boulot ???

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  • Commentaires

    1
    nathalie
    Samedi 9 Janvier 2016 à 18:45

    Hello Marion. Tu n'es pas Mère Thérésa, ben c'est peut-être tant mieux ! Toi tu es Marion, celle qui n'attend pas que les gens viennent à elle sur une jolie scène bien éclairée avec de jolis rideaux, un régisseur et une jolie loge (même si c'est sympa le confort d'une loge). Toi tu vas à leur rencontre , tu leur prends la main, tu entres par effraction dans leur univers et tu les embarques ailleurs le temps du spectacle et peut-être un peu plus loin. Alors surtout, reste cette femme là:  Marion. (exagérément libre?).

      • Pat
        Samedi 9 Janvier 2016 à 19:21
        Pat

        J'aurai pas dit mieux....

    2
    airelle
    Samedi 9 Janvier 2016 à 19:07

    Waou, je suis en larmes. Joli moment bien raconté.

    Je love ton blog.happy

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    3
    Samedi 9 Janvier 2016 à 21:59
    Maristochat Bellemam

    Que je suis émue !

    4
    Virginie
    Samedi 9 Janvier 2016 à 23:25
    Dans une vingtaine d'année nous lirons le blog d'une jeune fille qui racontera que lorsqu'elle était dans ce centre d'hébergement du nord de la France un peu crado dont elle ne se rappelle plus le nom, elle a vécu un moment inoubliable : une dame habillée avec une drôle de robe noire et des coulants de toutes les couleurs avec des poches partout cachant des petits personnages. Elle jouait d'un tout petit accordéon rigolo..
    Et qu'elle, elle dansait avec d'autres enfants de son âge ! C'était bizarre on aurait dit une cuisine mais personne ne cuisinait..
    Et cette chanson qui était si douce, dont elle se rappelait seulement la mélodie parce que la langue dans laquelle la dame si sympathique chantait n'était pas sa langue maternelle. elle y avait souvent pensé, et maintenant encore la mélodie lui revenait en berçant son bébé ....
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