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Est-ce une bonne idée d'écrire à Roselyne Bachelot, Ministre de la culture ??
Ce dont je vais vous parler n’est pas un problème « d’intermittent ».
C’est notre problème à tous.
C’est la culture de proximité qui en danger. Les « petits spectacles » qu’on va voir à la fête du quartier, à la bibliothèque.
Les souvenirs de nos enfants.
La première marche de l’accès à la culture pour tous.
(Petite résumé technique : Je vous explique rapidement. Je suis une "petite intermittente", je travaille seule, je créé mes spectacles seule, sans subvention. Je suis salariée en intermittence du spectacle, jusqu'en septembre par une coopérative de production qui me suivait, me soutenait et gérait mon administratif. Comme 4000 autres intermittents, j'ai reçu un courrier de Pôle emploi en pleine pandémie en septembre donc : Pole emploi ne reconnait plus mon employeur. Basta. Au revoir... je n'ai plus de moyens de me salarier et de prétendre à l'intermittence. Je devrais passer par un système de Pole Emploi : le GUSO : les structures pour lesquelles je travaille refuse systématiquement. Je n'ai donc aucune solution.Sans les allocations pole emploi pour lesquelles je cotise et auxquelles je devrais avoir droit, puisque je fais des spectacles, je ne peux pas continuer. Je paie donc le fait d'être une petite intermittente, solitaire. Ce dont nous avons besoin, nous les petits, c'est d'un système qui nous permettent de nous salarier. On ne demande pas d'argent, pas d'aide. Juste pouvoir être salariés et avoir nos droits aux allocations pôle emploi. Fin du résumé technique)
Je suis comédienne en intermittence depuis vingt-deux ans.
Vingt-deux ans, ça n’est pas rien. Cela reflète, il me semble, la qualité de mon travail. L'intermittence est un régime qui implique rigueur et sérieux si on veut pouvoir durer.
Je fais des spectacles dits "de proximité".
Des petites jauges, des endroits où d'ordinaire, il n'y pas de spectacles. Ce ne sont pas les spectateurs qui viennent à moi, c'est moi qui viens à eux.
J'aménage des espaces non adaptés. Je me produits dans des salles de classes, des espaces de motricité, des salles polyvalentes. J’en fais des théâtres éphémères. J’installe un fond de scène, des lumières...
Souvent, mes spectacles seront les seuls de l'année qui seront vus par mes spectateurs.
Ils sont aussi souvent les premiers que les enfants voient. Cela s'entend quand il s'agit de bébés, mais cela arrive avec des plus grands. Il y a quelques semaines, je jouais un de mes spectacles dans une classe de CE2 à, Tourcoing. Les enfants avaient ri trop fort, applaudi trop fort, eu peur trop fort. A la fin de la séance, l'enseignante a demandé combien d'entre eux avaient déjà vu un spectacle : quatre ont levé la main. Vingt et un enfant de huit ans dans cette classe n'avaient jamais vu de spectacle. J’étais le premier. Pas le dernier, j'espère. Ils savent maintenant que les spectacles, c’est pour eux aussi.
Je travaille seule.
Être seule me permet justement de travailler dans des endroits où personne ne va. Des endroits où on ne peut payer une fortune pour accueillir un spectacle. Parce que c’est une réalité économique : il n’y a que mon salaire, mes frais de déplacement à payer. Mon salaire correspond au travail effectué. Pas de quoi être riche un jour. De quoi vivre, tout simplement.
Comme mon emploi le permet et que je travaille suffisamment, je peux percevoir les allocations Pôle emploi du régime intermittent. Sans ces allocations, ma situation n’est pas vivable économiquement. Je ne suis pas une profiteuse. Le régime existe. Je cotise pour y avoir droit.
Je suis seule et je cumule tous les postes : machiniste, éclairagiste, scénographe, ouvreuse, maquilleuse, costumière, accessoiriste et enfin : comédienne !
Mais il y a quelque chose que je ne peux pas faire : être administrateur.
J'ai essayé plein de systèmes vraiment précaires. J'avais enfin trouvé une solution sécurisante et pratique pour moi il y a une douzaine d'années : Smart/la nouvelle aventure.
Je ne suis pas un dossier chez eux. On travaille ensemble.
Je fais mon boulot de comédienne. J'ai une fiche de paie pour le travail effectué, ni plus, ni moins.
J'ai la sécurité d'avoir un employeur qui gère plusieurs intermittents. J'ai une protection juridique, Smart cotise aux bonnes caisses.
Mais voilà, Pole emploi ne reconnait plus cet employeur.
En pleine pandémie, en pleine crise des spectacles. J'ai reçu un courrier laconique, une sentence, aucune autre solution proposée. Cela m’a fait l’effet d’être mise à la porte, licenciée, congédiée. Je n’ai pourtant pas commis d’autres faute que de travailler. C'est un peu facile de casser. Mais construire ?
On pourrait me dire que le GUSO existe. Ce n'est vraiment adapté. Je travaille pour de minuscules structures. Les gens veulent un devis, un contrat de cession, une facture. Pas devenir mon employeur occasionnel.
D’après une page trouvée sur le site de votre ministère, j’apprends que je ne peux pas passer par une société de production, par une autre compagnie, par une association qui vendrait mes spectacles et qui me rémunérait. Ce serait du portage salarial. C’est illégal. Je ne pourrais donc plus prétendre aux allocations en intermittence, parce que aucune structure ne pourra accueillir administrativement mes spectacles.
Alors que je suis comédienne.
Alors que je travaille.
Alors que nous cotisons aux bonnes caisses.
Je ne veux pas être complotiste, mais ne serait-ce pas une manière discrète de se débarrasser de quelques milliers d'intermittents ?
Nous sommes seuls et isolés. Il va être aisé de nous faire disparaitre.
On ne demande pas d'argent. Pas de subventions.
On demande à avoir des structures qui puissent nous salarier légalement.
L'intermittence, si elle a le mérite d'exister est aussi un statut précaire.
Fragiliser un peu plus les petits que nous sommes va conduire à notre disparition.
Si nous disparaissons, c'est la culture de proximité qui disparait.
Je ne vais pas, à quarante-six ans et bien que je fasse mon métier de manière militante (aller raconter dans des endroits isolés est un acte militant d'accès à la culture pour tous), je ne vais pas mettre en péril l'équilibre de ma famille. Non, les artistes ne vivent pas uniquement d'amour et d'eau fraiche... Je n'ai pas des revenus mirobolants, perdre les allocations pôle emploi serait invivable.
Je suis vraiment pessimiste quant aux effets de cette mesure. C'est la culture de proximité qui va disparaitre.
Je suis seule. Je suis désemparée.
Je suis quatre milles. Nous sommes quatre milles, artistes, techniciens laissés seuls, sans solution pour travailler, en pleine crise sanitaire.
Nous sommes souvent la première marche qui permet aux gens d'accéder ensuite à une culture plus "prestigieuse". Je montre que tout le monde a droit à la culture. Je la rends accessible et possible. Parce que ce n'est pas forcément facile d'aller voir un spectacle. Il faut s'y sentir autorisé.
Voir un spectacle, c'est prendre plaisir, s'interroger, s'émerveiller, penser le monde. Etre dans le monde.
Et il y a tout ce qui se joue ensuite : voir un spectacle, c'est avoir accès à la culture collective, qui que l'on soit, peu importe d'où l'on vient.
Notre pays s'enorgueillit d'être un fleuron de la grande culture. Mais il n'y a pas de grande culture s'il n'y a pas la première marche qui permet d'avoir accès à tout.
(en réalité, je n'aime pas l'idée qu'il y ait une culture supérieure à une autre, cependant, mes spectacles sont des "petites choses" je n'ai pas les moyens de faire du grand. Mais le petit ne devrait pas être méprisés)
Nous sommes quatre mille pour l'instant à avoir eu un haut le cœur en lisant le courrier de Pole emploi. Nous sommes isolés... Si nous étions rassemblés nous pourrions transformer ce "haut le cœur" en un "hauts les cœurs".
Mais nous sommes seuls. Il va être aisé de nous faire disparaitre silencieusement.
Nous allons être beaucoup plus nombreux parce que d'autres structures comme smart sont dans le collimateur de pôle emploi.
Je suis complètement désabusée et un peu désespérée.
Non seulement je ne sais pas ce que va être mon avenir. Renoncer à vingt-deux ans de carrière, ce n'est pas si simple et si je suis très adaptable, je ne vois quel métier "utile" je vais pouvoir exercer ?
Si nous n'étions pas confinés, j'aurais du travail. J'ai des dates prévues. Comment je fais ?
C'est une question administrative, mais c'est aussi bien plus que ça.
Ce n’est pas que mon problème.
C’est le problème de tous.
Je suis le spectacle que votre enfant à vu à la crèche, je suis celle qui joue à la fête de quartier.
Je suis la personne qui fait le spectacle de Noël à la bibliothèque.
Je raconte pour vos parents dans les EPHAD, je suis le spectacle de rue qui vous aura fait rire.
Je suis un moment que vous aurez partagé avec votre enfant sur les genoux.
Je suis tout ces moments de vie simple et accessible.
Je suis un peu répit dans un quotidien difficile.
Je suis quatre mille.
Je suis notre spectacle vivant.
Ce qui serait rudement chouette, c'est que si vous vous sentez concerné qui vous puissiez envoyer un petit mot à la ministre du travail.
Vous trouverez deux lettres possible : une "artiste" et une "public"
Si les liens ne marchent pas, je peux vous les envoyer par mail (dans ce cas, mettez moi un petit message à marion.cailleret@orange.fr )
L'idée est d'envoyer tous ensemble ce lundi 14 pour faire un mouvement de masse.
L'idéal est de le faire en courrier recommandé. Mais je sais que ça coûte, je sais que c'est compliqué.
Même un courrier normal ça sera pas mal.
(et puis, n'hésitez pas à partager, à relayer... Je vous mets des modèles de lettres à télécharger, à compléter)
Mme Roselyne BACHELOT,
Ministre de la Culture
Ministère de la Culture
182 rue Saint-Honoré
75001 PARIS
On peut aussi envoyer à nos élus locaux. Pour écrire un mail à votre député, c'est simple : vous cliquez sur son nom et le mail apparait ! Liste des députés par Département - XVe législature - Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)
Télécharger « Lettre Tout Public à La Ministre.doc »
Télécharger « Madame La Ministre version autre artiste.doc »
Sinon, je suis sur FB : Profils Marion Cailleret | Facebook
Love sur vous !
(et courage)
(du coup, vous avez droit à ma trombine, c'est une joie sans cesse renouvelée !)
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Commentaires
2Marie claude BRILLARDimanche 13 Décembre 2020 à 18:36bjr , je vous soutiens et vous comprends et je vais envoyer cette lettre
courage c est pas évident rien est évident pour vous pour d autres et même pour moi qui suis dans une situation sur le fil
3EmmanuelleMercredi 16 Décembre 2020 à 08:17Bonjour, Émouvant texte dans lequel je me retrouve, malheureusement. Je ne faisais pas partie de la Smart mais tout le reste, c’est moi. La date du 14 est passée, mais est-ce qu’on peut imaginer de contacter la presse par exemple au,nom des artistes animateurs cultuels des territoires, artistes de proximité. Je suis comme vous, seule, multi tâches à sillonner ma région pour conter des histoires. Peut-être pouvons nous contacter? Merci en tout cas d’enlever le voile sur nous qui ne sommes pas les « gros » intermittents . Solidarité!
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Moi aussi, je suis quatre mille.
Je suis l'orgue de Barbarie qui remue vos souvenirs.
Je suis cette chanson que vous fredonnerez toute la journée.
Je suis la mémoire de nos anciens, celle qui ressurgit parfois étonnamment dans les unités Alzheimer des EHPAD.
Je suis la joie, l'émotion et la convivialité croisées au détour d'une rue.
Je suis les comptines enfantines qui vous ont aidé à grandir.
Je suis la douce atmosphère d'un vin d'honneur de mariage.
Je suis la petite fille aux allumettes que vous évoquent les marchés de Noël.
Je suis l'ami du Père Noël, je lui tire la barbe et lui vole ses papillotes pour les distribuer aux enfants.
Je suis aussi le sourire qui revient aux lèvres d'une personne en fin de vie.
Je suis tous ces moments de vie simple et accessible.
Je suis un répit et une parcelle de joie et d'émotion dans un quotidien difficile.
Je suis votre spectacle vivant.
CRÈVECŒUR
chanteur de rues et joueur d'orgue de Barbarie
www.crevecoeur.org